Jeu service #2 : un monde sans danger ?

Devenu un genre à part entière, le jeu service a transformé le paysage vidéoludique. Monde virtuel, e-sport, battle royale etc. Autant de nouvelles mécaniques de jeu qui ne sont pourtant pas sans risques... Quels en sont les impacts ? Cette seconde partie de notre enquête y répond.

De la stratégie marketing au genre de jeu vidéo

e-sport et production de contenus : les prémices

À partir de 2016, les jeux vidéos en ligne ont trouvé un nouvel élan grâce à la médiatisation de l'e-sport, à la fois sur Twitch mais aussi sur les chaînes de télévision comme Bein Sport ou la chaîne l'Equipe.

Cette exposition a permis à certains titres d'arriver sur le marché en se faisant une place de choix dans le cœur des joueurs par le biais d'événements compétitifs. Depuis 2018, une chaîne de télévision dédiée a même été crée : MGG TV (anciennement ES1).

C'est ainsi que des jeux comme Rainbow Six Siege ont pu fédérer une communauté alors qu'il était initialement sorti fin 2015 en catimini. Grâce à l'ajout de contenus réguliers et la diffusion de compétition autour du titre, le jeu développé par Ubisoft est aujourd'hui un immense carton avec un pic de 80 millions de joueurs atteint en 2022.

Cependant, l'e-sport n'est pas la seule raison de la mutation du jeu service en tant que genre. L'assouplissement des règles concernant les mises à jour de nouveaux contenus sur les consoles a joué un rôle prépondérant. Certains éditeurs comme Rockstar Games en ont profité pour transformer le mode en ligne de Grand Theft Auto V en véritable monde virtuel à tel point qu'aujourd'hui GTA Online est devenu un jeu à part.

Cette frontière entre jeu vidéo et monde virtuel a été le point de départ du genre en 2017.

Infographie Reddeo - e-sport
Pour aller plus loin, consultez le Baromètre France E-Sport 2022

PUBG/ Fortnite : début des hostilités

Avec l'adoption de plus en plus importante du jeu en ligne, les éditeurs ont donc fait le choix de miser sur un contenu régulier pour continuer à faire vivre les jeux. L'engouement autour de titres comme PUBG: Battlegrounds et Fortnite Battle Royale ont été le point de départ d'un genre qui mélange à la fois la production de contenu et les micro-transactions du mobile.

Ces deux titres ont également popularisé le genre "Battle Royale" très présent au cinéma dans des films comme Battle Royale de Kinji Fukasaku (2000) ou plus récemment la saga Hunger Games (2012-2015).

Pour comprendre l'ampleur du phénomène, il est indispensable de revenir sur le contexte de l'époque :

  • le streaming n'avait pas encore la portée qu'il a aujourd'hui,
  • YouTube était encore la plateforme de référence.

Grâce à leur diffusion sur ces plateformes, PUBG: Battlegrounds et Fortnite Battle Royale ont non seulement gagner en visibilité mais également en popularité entraînant de fait un engouement qui ne se dément pas aujourd'hui.

D'autres entreprises comme le groupe Activision-Blizzard ont sorti Call Of Duty Warzone sur ce même modèle.

De la même manière que GTA Online, Fortnite Battle Royale est devenu un jeu à part entière alors qu'il s'agissait d'un mode multijoueur à la base. Son éditeur (Epic Games) a dès le départ choisi de recourir au modèle Free To Play tandis que son concurrent a fait le choix de le devenir seulement en 2022. Ces deux titres sont également disponibles sur mobile.

Depuis sa sortie, Fortnite a été régulièrement alimenté en contenu et le caractère modulable de son univers a séduit les marques et les artistes qui l'ont utilisé pour des événements spéciaux.

Par exemple, le jeu d'Epic Games a été utilisé pour dévoiler la première bande-annonce du film Tenet, comme salle de concert ou plus récemment comme expérience en permettant de vivre le Festival de Cannes depuis un palais des festivals virtuel.

Pour mesurer l'impact de Fortnite en matière de retombées économique il suffit de voir les gains générés. Selon une infographie publiée par Statista en 2019, le gagnant d'un tournoi touche beaucoup plus que le gagnant du Tour de France (2,7 million d'euros contre 500 000 pour le gagnant de la grande boucle).

Toutefois, bien que ce business model soit intéressant financièrement pour les entreprises, du côté des joueurs il génère une forme d'addiction.

Vers un encadrement progressif pour lutter contre les addictions

Avec les nombreux contenus disponibles, les jeux services promettent de nombreuses heures de jeu qui ne sont pas sans conséquence pour les joueurs. Malgré les revenus générés, Fortnite pose de nombreuses questions en matière d'addiction. Si le jeu d'Epic Games peut se targuer de réunir 250 millions de joueurs depuis son lancement en 2017, sa gratuité et son accessibilité sur tous les supports (PC, consoles et smartphones) sont problématiques notamment chez les jeunes.

En effet, si le jeu est déconseillé aux moins de 12 ans, de très nombreux enfants y jouent et ils sont particulièrement exposés. Avec son modèle free to play, le battle royale a mis en place de nombreuses micro-transactions pour acheter des objets qui peuvent être qualifiés de "cosmétiques". Ce sont par exemple des personnages exclusifs et des armes bonus.

L'engouement autour de Fortnite a par ailleurs généré des situations extrêmement préoccupantes tel que :

  • le recours à des coachs spécialisés dans le jeu pour améliorer le niveau des jeunes joueurs dans le but d'éviter qu'ils ne se fassent harceler à l'école comme l'évoquait RTL dans une brève de 2018.
  • le vol de la carte bleu des parents pour acheter des packs de jeu.
  • une fatigue physique et émotionnelle.

Ces comportements ont poussé les pouvoirs publics et les autorités de santé à s'intéresser de près à ce type de jeu notamment concernant la collecte des données personnelles des jeunes joueurs.

En décembre 2022, Epic Games a été épinglé par l'organisme de la consommation américaine (FTC) en raison de plusieurs manquements allant de la collecte des données personnelles aux pratiques commerciales trompeuses qui incitent à l'achat en passant par l'absence de réglementation pour protéger les jeunes joueurs.

L'entreprise a été condamné à payer une amende totale de 500 millions de dollars ce qui constitue un précédent important.

Le cas de Fortnite est loin d'être isolé, les pouvoirs publics ont réellement pris conscience du danger que représente ce type de dépendance. l'OMS a d'ailleurs classé l'addiction aux jeux vidéos comme une maladie à partir de 2019.

Dans un autre registre, le Parlement européen souhaite également encadrer certaines pratiques pour lutter contre l'addiction. C'est le cas par exemple des "loot boxes" qui consistent à acheter un contenu avec de l'argent réel sans savoir à quoi il correspond. Pour les décideurs européens, il s'agit d'une technique similaire à ce que l'on trouve dans les jeux d'argents.

À titre d'exemple, Fifa Ultimate Team tiré des jeux vidéos du même nom est régulièrement pointé du doigt pour cette raison. Fonctionnant sur un système de carte à collectionner (dont la forme rappelle les vignettes Panini), ce mode donne la possibilité aux joueurs de bâtir leur équipe de rêve. L'obtention de nouveaux joueurs est soumis à l'achat de pack échangeables contre des crédits qui peuvent être gagné en jouant ou bien avec de l'argent réel.

En devenant un genre, le jeu service a relégué le contenu en un simple prétexte pour dépenser de l'argent et créer une dépendance qui peut être nocive pour les joueurs. C'est pour cette raison que ce type de jeux vidéos est mal vu auprès du grand public. Une défiance va même s'installer à partir de 2019 quand certains éditeurs tenteront de brouiller les pistes à travers une communication volontairement floue autour de la nature de leurs jeux.